Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 1.djvu/77

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dote qui, ayant loyalement gardé, sa vie durant, le secret sur l’endroit où étaient déposés les trésors du roi d’Égypte, son maître, le révéla, à sa mort, à ses enfants.

Il est trop tard de ne réparer ses torts qu’à sa mort, et odieux de remettre à ce moment de se venger. — J’ai vu, de mon temps, nombre de gens, auxquels leur conscience reprochant de s’être approprié le bien d’autrui, insérer dans leur testament des dispositions pour que restitution en soit faite après leur mort. Ce n’est pas se conduire honorablement, que d’ajourner ainsi une restitution qui devrait être immédiate et de réparer ses torts dans des conditions où il vous en coûte si peu. Ils auraient dû y ajouter de ce qui leur appartenait en propre ; la réparation de leur faute eût été d’autant plus conforme à la justice et d’autant plus méritoire, que les sacrifices qu’ils se seraient ainsi imposés, auraient été plus lourds et plus pénibles ; faire pénitence, demande d’aller au delà de la stricte réparation du dommage causé. — Ceux qui attendent d’être passés de vie à trépas pour, dans leurs dernières volontés, manifester vis-à-vis du prochain les mauvais sentiments qu’ils lui portent et qu’ils n’ont osé lui déclarer de leur vivant, font encore pis. Ils montrent qu’ils ont peu de souci de leur honneur, ne regardant pas à soulever contre leur mémoire l’irritation de ceux qu’ils offensent ; ils font encore moins preuve de conscience, ne respectant pas la mort elle-même, en laissant leur malignité leur survivre et se prolonger au delà d’eux-mêmes ; tels des juges prévaricateurs qui remettent à juger, alors qu’ils n’auront plus la cause en main. Autant qu’il sera en mon pouvoir, j’espère me garder de rien dire après ma mort, que je n’aie déjà dit ouvertement pendant ma vie.

CHAPITRE VIII.

De l’oisiveté.

L’esprit est une terre qu’il faut sans cesse cultiver et ensemencer ; l’oisiveté la rend ou stérile ou fantasque. — De même que nous voyons des terres non cultivées, si elles sont grasses et fertiles, produire à foison des milliers d’herbes sauvages et inutiles, et que, pour les remettre en état, il faut les travailler et les ensemencer suivant ce que nous en voulons tirer ; de même que chez la femme se produisent d’eux-mêmes des flux périodiques de substances sans consistance, qui ne concourent à la génération dans des conditions favorables et naturelles qu’autant que, par l’intervention d’un germe étranger, la fécondation se produit ; de même l’esprit, qui n’a pas d’occupations qui le contiennent et l’absorbent, va, de-ci, de-là, à l’aventure, se perdant dans le vague de l’imagination : Ainsi, lorsque dans un vase d’airain une onde