Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 2.djvu/142

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y auons nous recognu quelque stupidité immobile et insensible, nous qui n’auons aucun commerce auec eux que d’obeïssance ? Dirons nous, que nous n’auons veu en nulle autre creature, qu’en l’homme, l’vsage d’vne ame raisonnable ? Et quoy ? Auons nous veu quelque chose semblable au soleil ? Laisse-il d’estre, par ce que nous n’auons rien veu de semblable ? et ses mouuements d’estre, par ce qu’il n’en est point de pareils ? Si ce que nous n’auons pas veu, n’est pas, nostre science est merueilleusement raccourcie. Quæ sunt tantæ animi angustiæ ? Sont ce pas des songes de l’humaine vanité, de faire de la lune vne terre celeste ? y deuiner des montaignes, des vallées, comme Anaxagoras ? y planter des habitations et demeures humaines, et y dresser des colonies pour nostre commodité, comme faict Platon et Plutarque ? et de nostre terre en faire vn astre esclairant et lumineux ? Inter cætera mortalitatis incommoda, et hoc est, caligo mentium : nec tantum necessitas errandi, sed errorum amor. Corruptibile corpus aggrauat animam, et deprimit terrena inhabitatio sensum multa cogitantem.La presomption est nostre maladie naturelle et originelle. La plus calamiteuse et fragile de toutes les creatures c’est l’homme, et quant et quant, la plus orgueilleuse. Elle se sent et se void logée icy parmy la bourbe et le fient du monde, attachée et clouée à la pire, plus morte et croupie partie de l’vniuers, au dernier estage du logis, et le plus esloigné de la voute celeste, auec les animaux de la pire condition des trois : et se va plantant par imagination au dessus du cercle de la lune, et ramenant le ciel soubs ses pieds.C’est par la vanité de cette mesme imagination qu’il s’egale à Dieu, qu’il s’attribue les conditions diuines, qu’il se trie soy-mesme et separe de la presse des autres creatures, taille les parts aux animaux ses confreres et compagnons, et leur distribue telle portion de facultez et de forces, que bon luy semble. Comment cognoist il par l’effort de son intelligence, les branles internes et secrets des animaux ? par quelle comparaison d’eux à nous conclud il la bestise qu’il leur attribue ? Quand ie me ioue à ma chalte, qui sçait, si elle passe son temps de moy plus que ie ne fay d’elle ? Nous nous entretenons de singerie