insensé. D’après eux enfin, tout ce qui ne nous ressemble pas n’est rien qui vaille Dieu lui-même, et c’est un point sur lequel nous reviendrons, ne vaut que parce qu’il est à notre image ; d’où il s’ensuit que ce n’est pas comme conséquence d’un raisonnement judicieux, mais uniquement par fierté et obstination que nous nous préférons aux animaux, que nous nous prétendons de condition autre et que nous n’acceptons pas leur société.
Avec tant de vices, d’appétits déréglés qui sont en lui, est-il en droit de se glorifier de sa raison ? — Revenons à notre propos. Nous avons dans notre lot : l’inconstance, l’irrésolution, l’incertitude, la mauvaise foi, la superstition, la préoccupation des choses à venir, voire même de ce qui adviendra au delà de la vie, l’ambition, l’avarice, la jalousie, l’envie, les appétits déréglés, forcenés et indomptables, la guerre, le mensonge, la déloyauté, le dénigrement et la curiosité. Certainement c’est avoir payé étrangement cher et bien au-dessus de sa valeur cette belle raison dont nous nous glorifions, cette aptitude à connaître et à juger, si nous l’avons achetée au prix de ce nombre infini de passions, avec lesquelles nous sommes sans cesse aux prises ; encore ne faisons-nous pas entrer en ligne de compte, ne l’appréciant pas plus que ne le fait Socrate à si juste titre, cette prérogative qu’il est à remarquer que nous avons sur les autres animaux, que toute latitude nous est laissée de nous adonner aux plaisirs sexuels à toute heure et à toute occasion, alors qu’à cet égard la nature a imposé aux bêtes des bornes commandées par la raison.
La science ne nous garantit ni des maladies ni des incommodités de la vie. - « De même qu’il vaut mieux s’abstenir absolument de donner du vin aux malades, parce qu’en leur donnant ce remède, rarement utile et le plus souvent nuisible, pour une chance de salut on les exposerait à un danger véritable ; peut-être aussi vaudrait-il mieux que la nature nous ait refusé cette activité de pensée, cette pénétration, cette industrie que nous appelons raison et qu’elle nous a si libéralement accordée, puisque cette faculté n’est salutaire qu’à un petit nombre d’hommes et funeste à tant d’autres (Cicéron). » De quel avantage, pensons-nous, a été à Varron et à Aristote cette intelligence qu’ils avaient de tant de choses ? Les a-t-elle exemptés des incommodités inhérentes à la nature humaine ? Ont-ils été à l’abri des accidents auxquels un portefaix est exposé ? La logique les a-t-elle consolés de la goutte ? De ce qu’ils savaient comment ce mal se loge aux jointures, l’ont-ils moins ressenti ? De ce qu’ils n’ignoraient pas que chez certains peuples la mort est accueillie avec joie, la leur en a-t-elle été plus douce ? Parce qu’ils avaient connaissance que dans certains pays les femmes sont en commun, ont-ils été plus consolés de l’infidélité des leurs ? D’autre part, bien que par leur savoir ils aient occupé le premier rang, l’un chez les Romains, l’autre chez les Grecs, à une époque où la science était le plus florissante, il ne nous est cependant pas revenu que leurs vies aient été de celles qui ont le plus approché de la perfection ;