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Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 2.djvu/264

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traordinaires. Mais d’auoir faict des Dieux de nostre condition, de laquelle nous deuons cognoistre l’imperfection, leur auoir attribué le desir, la cholere, les vengeances, les mariages, les generations, et les parenteles, l’amour, et la ialousie, nos membres et nos os, nos ficures et nos plaisirs, nos morts et sepultures, il faut que cela soit party d’vne merueilleuse yuresse de l’entendement humain.

Quæ procul vsque adeo diuino ab numine distant,
Inque Deum numero que sint indigna videri.

Formæ, ætates, vestitus, ornatus noti sunt : genera, coniugia, cognationes, omniáque traducta ad similitudinem imbecillitatis humanæ : nam et perturbatis animis inducuntur : accipimus enim Deorum cupiditates, ægritudines, iracundias. Comme d’auoir attribué la diuinité non seulement à la foy, à la vertu, à l’honneur, concorde, liberté, victoire, pieté : mais aussi à la volupté, fraude, mort, enuie, vieillesse, misere : à la peur, à la ficure, et à la male fortune, et autres iniures de nostre vie, fresle et caduque.

Quid iuuat hoc, templis nostros inducere mores ?
O curuæ in terris animæ et cælestium inanes !

Les Ægyptiens d’vne impudente prudence, defendoyent sur peine de la hart, que nul eust à dire que Serapis et Isis leurs Dieux, eussent autres fois esté hommes et nul n’ignoroit, qu’ils ne l’eussent esté. Et leur effigie representée le doigt sur la bouche, signifioit, dit Varro, cette ordonnance mysterieuse à leurs prestres, de taire leur origine mortelle, comme par raison necessaire anullant toute leur veneration. Puis que l’homme desiroit tant de s’apparier à Dieu, ik eust mieux faict, dit Cicero, de ramener à soy les conditions diuines, et les attirer çà bas, que d’enuoyer là haut sa corruption et sa misere : mais à le bien prendre, il a fait en plusieurs façons, et I’vn, et l’autre, de pareille vanité d’opinion.Quand les philosophes espeluchent la hierarchie de leurs Dieux, et font les 3 empressez à distinguer leurs alliances, leurs charges, et leur puissance, ie ne puis pas croire qu’ils parlent à certes. Quand Platon nous dechiffre le verger de Pluton, et les commoditez ou peines corporelles, qui nous attendent encore apres la ruine et aneantissement de nos corps, et les accommode au ressentiment, que nous auons en cette vie :

Secreti celant calles, el myrtea circùm
Sylua tegit ; curæ non ipsa in morte relinquunt.

Quand Mahumet promet aux siens vn paradis tapissé, paré d’or et de pierreries, peuplé de garses d’excellente beauté, de vins, et de viures singuliers, ie voy bien que ce sont des moqueurs qui se