Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 2.djvu/288

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homine, cui sua figmenta dominantur. C’est bien loin d’honorer celuy qui nous a faicts, que d’honorer celuy que nous auons faict. Auguste eut plus de temples que Iupiter, seruis auec autant de religion et creance de miracles. Les Thasiens en recompense des biensfaicts qu’ils auoyent receuz d’Agesilaus, luy vindrent dire qu’ils l’auoyent canonisé Vostre nation, leur dit-il, a elle ce pouuoir de faire Dieu qui bon luy semble ? Faictes en pour voir l’vn d’entre vous, et puis quand i’auray veu comme il s’en sera trouué, ie vous diray grandmercy de vostre offre. L’homme est bien insensé : il ne sçauroit forger vn ciron, et forge des Dieux à douzaines. Oyez Trismegiste louant nostre suffisance : De toutes les choses admirables a surmonté l’admiration, que l’homme ayt peu trouuer la diuine nature, et la faire.Voicy des arguments de l’escole mesme de la philosophie.

Nosse cui Diuos et cœli numina soli,
Aut soli nescire, datum.

Si Dieu est, il est animal, s’il est animal, il a sens, et s’il a sens, il est subject à corruption. S’il est sans corps, il est sans ame, et par consequent sans action : et s’il a corps, il est perissable. Voyla pas triomphé ? Nous sommes incapables d’auoir faict le monde il y a donc quelque nature plus excellente, qui y a mis la main. Ce seroit vne sotte arrogance de nous estimer la plus parfaicte chose de cet vniuers. Il y a donc quelque chose de meilleur. Cela c’est Dieu. Quand vous voyez vne riche et pompeuse demeure, encore que vous ne sçachiez qui en est le maistre ; si ne direz vous pas qu’elle soit faicte pour des rats. Et cette diuine structure, que nous voyons du palais celeste, n’auons nous pas à croire, que ce soit le logis de quelque maistre plus grand que nous ne sommes ? Le plus hault est-il pas tousiours le plus digne ? Et nous sommes placez au plus bas. Rien sans ame et sans raison ne peut produire vn animant capable de raison. Le monde nous produit : il a donc ame et raison. Chasque part de nous est moins que nous. Nous sommes part du monde. Le monde est donc fourny de sagesse et de raison, et plus abondamment que nous ne sommes. C’est belle chose que d’auoir vn grand gouuernement. Le gouuernement du monde appartient donc à quelque heureuse nature. Les astres ne nous sont pas de nuisance : ils sont donc pleins de bonté. Nous auons besoing de nourriture, aussi ont donc les Dieux, et se paissent des vapeurs de ca bas. Les biens mondains ne sont pas biens à Dieu : ce ne sont donc pas biens à nous. L’offenser, et