Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 2.djvu/430

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pour s’estrangler et battre vne espée d’or pour s’enferrer : et gardoit du venin dans des vaisseaux d’emeraude et de topaze, pour s’empoisonner, selon que l’enuie luy prendroit de choisir de toutes ces façons de mourir.

Impiger et fortis virtute coacta.

Toutefois quant à cettuy-cy, la mollesse de ses apprests rend plus vray-semblable que le nez luy eust saigné, qui l’en eust mis au propre. Mais de ceux mesmes, qui plus vigoureux, se sont resolus à l’execution, il faut voir, dis-ie, si ç’a esté d’vn coup, qui ostait le loisir d’en sentir l’effect. Car c’est à deuiner, à voir escouler la vie peu à peu, le sentiment du corps se meslant à celuy de l’ame, s’offrant le moyen de se repentir, si la constance s’y fust trouuée, et l’obstination en vne si dangereuse volonté.Aux guerres ciuiles de Cæsar, Lucius Domitius pris en la Prusse, s’estant empoisonné, s’en repentit apres. Il est aduenu de nostre temps que tel resolu de mourir, et de son premier essay n’ayant donné assez auant, la demangéson de la chair luy repoussant le bras, se reblessa bien fort à deux ou trois fois apres, mais ne peut iamais gaigner sur luy d’enfoncer le coup. Pendant qu’on faisoit le procés à Plantius Syluanus, Vrgulania sa mere-grand luy enuoya vn poignard, duquel n’ayant peu venir à bout de se tuer, il se feit coupper les veines à ses gents. Albucilla du temps de Tibere, s’estant pour se tuer frappée trop mollement, donna encores à ses parties moyen de l’emprisonner et faire mourir à leur mode. Autant en fit le Capitaine Demosthenes apres sa route en la Sicile. Et C. Fimbria s’estant frappé trop foiblement, impetra de son vallet de l’acheuer. Au rebours, Ostorius, lequel pour ne se pouuoir seruir de son bras, desdaigna d’employer celuy de son seruiteur à autre chose qu’à tenir le poignard droit et ferme : et se donnant le branle, porta luy mesme sa gorge à l’encontre, et la transperça.C’est vne viande à la verité qu’il faut engloutir sans macher, qui n’a le gosier ferré à glace. Et pourtant l’Empereur Adrianus feit que son medecin merquast et circonscriuist en son tetin iustement l’endroit mortel, où celuy eust à viser, à qui il donna la charge de le tuer. Voyla pourquoy Cæsar, quand on luy demandoit quelle mort il trouuoit la plus souhaitable, La moins premeditée, respondit-il, et la plus courte. Si Cæsar l’a osé dire, ce ne m’est plus lascheté de le croire. Vne mort courte, dit Pline, est le souuerain heur de la vie humaine. Il leur fasche de la recognoistre. Nul ne se peut dire estre resolu à la mort, qui craint à la marchander, qui ne peut la soustenir les yeux ouuerts. Ceux