Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 2.djvu/542

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

ce que toute son armée estoit de Chrestiens, il ne l’osoit descouurir. En fin, quand il se vil assez fort pour oser publier sa volonté, il fil ouurir les temples des Dieux, et s’essaya par tous moyens de mettre sus l’idolatrie. Pour paruenir à son effect, ayant rencontré en Constantinople, le peuple descousu, auec les prelats de l’Eglise Chrestienne diuisez, les ayant faict venir à luy au palais, les admonesta instamment d’assoupir ces dissentions ciuiles, et que chacun sans empeschement et sans crainte seruist à la religion. Ce qu’il sollicitoit auec grand soing, pour l’esperance que cette licence augmenteroit les parts et les brigues de la diuision, et empescheroit le peuple de se reünir, et de se fortifier par consequent, contre luy, par leur concorde, et vnanime intelligence : ayant essayé par la cruauté d’aucuns Chrestiens, qu’il n’y a point de beste au monde tant à craindre à l’homme, que l’homme.Voyla ses mots à peu pres : en quoy cela est digne de consideration, que l’Empereur Iulian se sert pour attiser le trouble de la dissention ciuile, de celle mesme recepte de liberté de conscience, que noz Roys viennent d’employer pour l’estaindre. On peut dire d’vn costé, que de lascher la bride aux pars d’entretenir leur opinion, c’est espandre et semer la diuision, c’est prester quasi la main à l’augmenter, n’y ayant aucune barriere ny coërction des loix, qui bride et empesche sa course. Mais d’autre costé, on diroit aussi, que de lascher la bride aux pars d’entretenir leur opinion, c’est les ámollir et relascher par la facilité, et par l’aisance, et que c’est esmousser l’eguillon qui s’affine par la rareté, la nouuelleté, et la difficulté. Et. si croy mieux, pour l’honneur de la deuotion de noz Roys ; c’est, que n’ayans peu ce qu’ils vouloient, ils ont fait semblant de vouloir ce qu’ils pouuoient.

CHAPITRE XX.

Nous ne goustons rien de pur.


La foiblesse de nostre condition, fait que les choses en leur simplicité et pureté naturelle ne puissent pas tomber en nostre vsage. Les elemens que nous iouyssons, sont alterez : et les metaux de mesme, et l’or, il le faut empirer par quelque autre matiere, pour