Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 2.djvu/590

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dispenser leurs engins. Nous en voyons mille exemples en l’antiquité ; et ie ne sçay si sans y penser, nous ne retenons pas quelque trace de cette barbarie.Tout ce qui est au delà de la mort simple, me semble pure cruauté. Nostre iustice ne peut esperer, que celuy que la crainte de mourir et d’estre decapité, ou pendu, ne gardera de faillir ; en soit empesché, par l’imagination d’vn feu languissant, ou des tenailles, ou de la roue. Et ie ne sçay cependant, si nous les icttons au desespoir. Car en quel estat peut estre l’ame d’vn homme, attendant vingt-quatre heures la mort, brisé sur vne rouë, ou à la vieille façon cloué à vne croix ? Iosephe recite, que pendant les guerres des Romains en ludée, passant où lon auoit crucifié quelques Juifs, trois iours y auoit, il recogneut trois de ses amis, et obtint de les oster de là ; les deux moururent, dit-il, l’autre vescut encore depuis.Chalcondyle homme de foy, aux memoires qu’il a laissé des choses aduenues de son temps, et pres de luy, recite pour extreme supplice, celuy que l’Empereur Mechmed pratiquoit souuent, de faire trancher les hommes en deux parts, par le faux du corps, à l’endroit du diaphragme, et d’vn seul coup de simeterre : d’où il arriuoit, qu’ils mourussent comme de deux morts à la fois : et voyoit-on, dit-il, l’vne et l’autre part pleine de vie, se demener long temps apres pressée de tourment. Ie n’estime pas, qu’il y eust grand’souffrance en ce mouuement. Les supplices. plus hideux à voir, ne sont pas tousiours les plus forts à souffrir. Et trouue plus atroce ce que d’autres historiens en recitent contre des Seigneurs Epirotes, qu’il les feit escorcher par le menu, d’vne dispensation si malicieusement ordonnée, que leur vie dura quinze iours à cette angoisse.Et ces deux autres. Croesus ayant faict prendre vn Gentilhomme fauori de Pantaleon son frere, le mena en la boutique d’vn foullon, où il le feit gratter et carder, à coups de cardes et peignes de ce mestier, iusques à ce qu’il en mourut. George Sechel chef de ces paysans de Polongne, qui soubs tiltre de la Croysade, firent tant de maux, deffaict en battaille par le Vayuode de Transsiluanie, et prins, fut trois iours attaché nud sur vn cheualet ; exposé à toutes les manicres de tourmens que chacun pouuoit apporter contre luy : pendant lequel temps on fil ieusner plusieurs autres prisonniers. En fin, luy viuant et voyant, on abbreuua de son sang Lucat son cher frere, et pour le salut duquel seul il prioit, tirant sur soy toute l’enuie de leurs meffaits : et fit on paistre vingt de ses plus fauoris Capitaines, deschirans à