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Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 3.djvu/108

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seau à la pure conduitte du ciel. A quelle plus iuste necessité se reserue il ? Que luy est-il moins possible à faire que ce qu’il ne peut faire, qu’aux despens de sa foy et de son honneur ? choses, qui à l’auenture luy doiuent estre plus cheres que son propre salut, et que le salut de son peuple. Quand les bras croisez il appellera Dieu simplement à son aide, n’aura-il pas à esperer, que la diuine bonté n’est pour refuser la faueur de sa main extraordinaire à vne main pure et iuste ? Ce sont dangereux exemples, rares, et maladifues exceptions, à nos regles naturelles il y faut ceder, mais auec grande moderation et circonspection. Aucune vtilité priuee, n’est digne pour laquelle nous facions cet effort à nostre conscience : la publique bien, lors qu’elle est et tres-apparente, et tresimportante.Timoleon se garantit à propos, de l’estrangeté de son exploit, par les larmes qu’il rendit, se souuenant que c’estoit d’vne main fraternelle qu’il auoit tué le tyran. Et cela pinça iustement sa conscience, qu’il eust esté necessité d’achetter l’vtilité publique, à tel prix de l’honnesteté de ses mœurs. Le Senat mesme deliuré de seruitude par son moyen, n’osa rondement decider d’vn si haut faict, et deschiré en deux si poisants et contraires visages. Mais les Syracusains ayans tout à point, à l’heure mesme, enuoyé requerir les Corinthiens de leur protection, et d’vn chef digne de restablir leur ville en sa premiere dignité, et nettoyer la Sicile de plusieurs tyranneaux, qui l’oppressoient : il y deputa Timoleon, auec cette nouuelle deffaitle et declaration : Que selon qu’il se porteroit bien ou mal en sa charge, leur arrest prendroit party, à la faueur du liberateur de son païs, ou à la desfaueur du meurtrier de son frere. Cette fantastique conclusion, a quelque excuse, sur le danger de l’exemple et importance d’vn faict si diuers. Et feirent bien, d’en descharger leur iugement, ou de l’appuier ailleurs, et en des considerations tierces. Or les deportements de Timoleon en ce voyage rendirent bien tost sa cause plus claire, tant il s’y porta dignement et vertueusement, en toutes façons. Et le bon heur qui l’accompagna aux aspretez qu’il eut à vaincre en cette noble besongne, sembla Juy estre enuoyé par les Dieux conspirants et fauorables à sa iustification.La fin de cettuy cy est excusable, si aucune le pouuoit