Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 3.djvu/115

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que de mépriser l’amitié, les obligations que nous avons les uns envers les autres, la parole donnée, les liens de parenté pour le bien commun et l’obéissance aux magistrats, il suffit bien, pour nous excuser de ne point posséder une telle grandeur de sentiments, qu’elle n’ait point pris place dans ce qui faisait la grandeur d’âme d’Epaminondas.

J’abomine les appels à la violence de cette autre âme en délire : « Tant que l’épée sera tirée du fourreau, chassez toute pitié de vos cœurs, que la vue même de vos pères dans le camp adverse ne vous arrête pas, frappez du fer ces tétes vénérables (Lucain). » Otons à ceux qui, par nature, sont méchants, sanguinaires et traîtres, ce prétexte à se livrer à leurs penchants ; laissons là cette justice excessive qui ne nous appartient pas et tenons-nous-en à des exemples plus empreints des droits de l’humanité. — À cet égard l’époque et l’exemple peuvent beaucoup. Durant la guerre civile, dans un engagement contre Cinna, un soldat de Pompée ayant, par mégarde, tué son frère qui était dans les rangs opposés, se tua luimême sur le champ par honte et par regret. Quelques années après, dans le cours d’une autre guerre civile, toujours chez ce même peuple, un soldat qui avait tué son frère demandait, pour ce fait, une récompense à ses chefs.

En résumé, l’utilité d’une action ne suffit pas pour la rendre honorable. — C’est à tort qu’on voudrait justifier de[1] l’honnêteté et de la beauté d’une action par ce fait seul qu’elle est utile, et en conclure que chacun peut être tenu de l’accomplir et doit l’estimer honnête en raison de son utilité : « Toutes choses ne conviennent pas également à tous (Properce). » Considérons celle qui est la plus nécessaire et la plus utile à la société humaine, le mariage ; le conseil des saints ne trouve-t-il pas qu’il est plus honnête de s’en abstenir, réprouvant ainsi, parmi les devoirs de l’homme, celui qui est le plus respectable, comme nous-mêmes en agissons vis-à-vis des animaux, en envoyant dans les haras ceux dont nous faisons le moins de cas.

CHAPITRE II.

Du repentir.

Tout, en ce monde, est soumis à des changements continuels ; c’est ce qui fait que Montaigne, qui se dépeint au jour le jour, peut ne pas se montrer constamment avec les mêmes sentiments et les mêmes idées. — Les autres auteurs se proposent l’éducation de l’homme ; je me borne à le décrire.

  1. *