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Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 3.djvu/264

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urant comme font ceux cy, vne si belle route à l’imagination. Et l’action et la peinture doiuent sentir leur larrecin.L’amour des Espagnols, et des Italiens, plus respectueuse et craintifue, plus miDeuse et couuerte, me plaist. Ie ne sçay qui, anciennement, desiroit le gosier allongé comme le col d’vne grue, pour sauourer plus long temps ce qu’il aualloit. Ce souhait est mieux à propos en cette volupté, viste et precipiteuse. Mesmes à telles natures comme est la mienne, qui suis vicieux en soudaineté. Pour arrester sa suitte, et l’estendre en preambules ; entre-eux, tout sert de faueur et de recompense vne œillade, vne inclination, vne parolle, vn signe. Qui se pourroit disner de la fumee du rost, feroit-il pas vne belle espargne ? C’est vne passion qui mesle à bien peu d’essence solide, beaucoup plus de vanité et resuerie fieureuse : il la faut payer et seruir de mesme. Apprenons aux dames à se faire valoir, à s’estimer, à nous amuser, et à nous piper. Nous faisons nostre charge extreme la premiere il y a tousiours de l’impetuosité Françoise. Faisant filer leurs faueurs, et les estallant en detail chacun, iusques à la vieillesse miserable, y trouue quelque bout de lisiere, selon son vaillant et son merite. Qui n’a iouyssance, qu’en la iouyssance : qui ne gaigne que du haut poinct qui n’ayme la chasse qu’en la prise il ne luy appartient pas de se mesler à nostre escole. Plus il y a de marches et degrez, plus il y a de hauteur et d’honneur au dernier siege. Nous nous deurions plaire d’y estre conduicts, comme il se faict aux palais magnifiques, par diuers portiques, et passages, longues et plaisantes galleries, et plusieurs destours. Cette dispensation reuiendroit à nostre commodité : nous y arresterions, et nous y aymerions plus long temps. Sans esperance, et sans desir, nous n’allons plus rien qui vaille. Nostre maistrise et entiere possession, leur est infiniement à craindre. Depuis qu’elles sont du tout rendues à la mercy de nostre foy, et constance, elles sont vn peu bien hasardees. Ce sont vertus rares et difficiles : soudain qu’elles sont à nous, nous ne sommes plus à elles.

Postquam cupidæ mentis satiata libido est,
Verba nihil metuere, nihil periuria curant.

Et Thrasonidez ieune homme Grec, fut si amoureux de son amour, qu’il refusa, ayant gaigné le cour d’vne maistresse, d’en iouyr :