Aller au contenu

Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 3.djvu/276

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

bonne estime de nous et recommandation ? Pour ce peu qu’il m’en faut à cette heure,

Ad vnum
Mollis opus,

ie ne voudrois importuner vne personne, que i’ay à reuerer et craindre.

Fuge suspicari,
Cuius vndenum trepidauit ælas
Claudere lustrum.

Nature se deuoit contenter d’auoir rendu cet aage miserable, sans le rendre encore ridicule. Ie hay de le voir, pour vn pouce de chetiue vigueur, qui l’eschaufe trois fois la semaine, s’empresser et se gendarmer, de pareille aspreté, comme s’il auoit quelque grande et legitime iournec dans le ventre : vn vray feu d’estoupe. Et admire sa cuisson, si viue et fretillante, en vn moment si lourdement congelee et esteinte. Cet appetit ne deuroit appartenir qu’à la fleur d’vne belle ieunesse. Fiez vous y, pour voir, à seconder cett’ardeur indefatigable, pleine, constante, et magnanime, qui est en vous : il vous la lairra vrayment en beau chemin. Renuoyez le hardiment plustost vers quelque enfance molle, estonnee, et ignorante, qui tremble encore soubs la verge, et en rougisse,

Indum sanguineo veluti violauerit ostro
Si quis ebur, vel mista rubent vbi lilia multa
Alba ros.

Qui peut attendre le lendemain, sans mourir de honte, le desdain de ces beaux yeux, consens de sa lascheté et impertinence :

Et taciti fecere tamen conuitia vultus,

il n’a iamais senty le contentement et la fierté, de les leur auoir battus et ternis, par le vigoureux exercice d’vne nuict officieuse et actiue. Quand i’en ay veu quelqu’vne s’ennuyer de moy, ie n’en ay point incontinent accusé sa legereté : i’ay mis en doubte, si ie n’auois pas raison de m’en prendre à Nature plustost. Certes elle m’a traitté illegitimement et inciuilement,

Si non longa salis, si non benè mentula crassa

Nimirum sapiunt vidéntque paruam
Matronæ quoque mentulam illibenter :

et d’vne lesion enormissime. Chacune de mes pieces est esgalement mienne, que toute autre. Et nulle autre ne me fait plus proprement homme que cette cy.Ie doy au publiq vniuersellement mon pourtrail. La sagesse de ma leçon est en verité, en liberté, en essence, loute. Dedeignant au rolle de ses vrays deuoirs, ces petites regles, feintes, vsuelles, prouinciales. Naturelle toute, conslante, generale. De laquelle sont filles, mais bastardes, la ciuilité, la ceremonie. Nous aurons bien les vices de l’apparence, quand nous aurons eu ceux de l’essence. Quand nous aurons faict à ceux