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Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 3.djvu/314

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represente volontiers vne tres-fauce image des choses. Comme vainement nous concluons auiourd’huy, l’inclination et la decrepitude du monde, par les arguments que nous tirons de nostre propre foiblesse et decadence :

Iamque adeo affecta est ætas, affectaque tellus.

Ainsi vainement concluoit cettuy-la, sa naissance et ieunesse, par la vigueur qu’il voyoit aux esprits de son temps, abondans en nouuelletez et inuentions de diuers arts :

Verum, vt opinor, habet nouitatem summa, recénsque
Natura est mundi, neque pridem exordia cepit :
Quare etiam quædam nunc artes expoliuntur,
Nunc etiam augescunt, nunc addita nauigiis sunt
Mulla.

Nostre monde vient d’en trouuer vn autre (et qui nous respond si c’est le dernier de ses freres, puis que les Dæmons, les Sybilles, et nous, auons ignoré cettuy-cy iusqu’à cette heure ?) non moins grand, plain, et membru, que luy : toutesfois si nouueau et si enfant, qu’on luy apprend encore son a, b, c. Il n’y a pas cinquante ans, qu’il ne sçauoit, ny lettres, ny poix, ny mesure, ny vestements, ny bleds, ny vignes. Il estoit encore tout nud, au giron, et ne viuoit que des moyens de sa mere nourrice. Si nous concluons bien, de nostre fin, et ce poëte de la ieunesse de son siecle, cet autre monde ne fera qu’entrer en lumiere, quand le nostre en sortira. L’vniuers tombera en paralysie : I’vn membre sera perclus, l’autre en vigueur. Bien crains-ie, que nous aurons tres-fort hasté sa declinaison et sa ruyne, par nostre contagion et que nous luy aurons bien cher vendu nos opinions et nos arts. C’estoit vn monde enfant si ne l’auons nous pas fouëté et soubsmis à nostre discipline, par l’auantage de nostre valeur, et forces naturelles : ny ne l’auons practiqué par nostre iustice et bonté ny subiugué par nostre magnanimité. La plus part de leurs responces, et des negotiations faictes auec eux, tesmoignent qu’ils ne nous deuoient rien en clarté d’esprit naturelle, et en pertinence. L’espouuentable magnificence des villes de Cusco et de Mexico, et entre plusieurs choses pareilles, le iardin de ce Roy, où tous les arbres, les fruicts, et toutes les herbes, selon l’ordre et grandeur qu’ils ont en vn iardin, estoient excellemment formees en or : comme en son cabinet, tous les animaux, qui naissoient en son estat et en ses mers : et