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Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 3.djvu/418

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plus à esperer, qu’il ne porte. On se met souuent sottement en pourpoinct, pour ne sauter pas mieux qu’en saye. Nihil est his, qui placere volunt, tam aduersarium, quàm expectatio. Ils ont laissé par escrit de l’orateur Curio, que quand il proposoit la distribution des piece de son oraison, en trois, ou en quatre : ou le nombre de ses arguments et raisons, il luy aduenoit volontiers, ou d’en oublier quelqu’vn, ou d’y en adiouster vn ou deux de plus. l’ay tousiours bien euité, de tomber en cet inconuenient : ayant hay ces promesses et prescriptions : non seulement pour la deffiance de ma memoire : mais aussi pource que cette forme retire trop à l’artiste. Simpliciora militares decent. Baste, que ie me suis meshuy promis, de ne prendre plus la charge de parler en lieu de respect. Car quant à parler en lisant son escript outre ce qu’il est tresinepte, il est de grand desauantage à ceux, qui par nature pouuoient quelque chose en l’action. Et de me ietter à la mercy de mon inuention presente, encore moins ie l’ay lourde et trouble, qui ne sçauroit fournir aux soudaines necessitez, et importantes.Laisse Lecteur courir encore ce coup d’essay, et ce troisiesme alongeail, du reste des pieces de ma peinture. I’adiouste, mais ie ne corrige pas. Premierement, par ce que celuy qui a hypothequé au monde son ouurage, ie troune apparence, qu’il n’y ayt plus de droict. Qu’il die, s’il peut, mieux ailleurs, et ne corrompe la besongne qu’il a vendue. De telles gens, il ne faudroit rien acheter qu’apres leur mort. Qu’ils y pensent bien, auant que de se produire. Qui les haste ? Mon liure est tousiours vn : sauf qu’à mesure, qu’on se met à le renouueller, afin que l’achetteur ne s’en aille les mains du tout vuides, ie me donne loy d’y attacher (comme ce n’est qu’vne marqueterie mal iointe) quelque embleme supernumeraire. Ce ne sont que surpoids, qui ne condamnent point la premiere forme, mais donnent quelque prix particulier à chacune des suiuantes, par vne petite subtilité ambitieuse. De là toutesfois il aduiendra facilement, qu’il s’y mesle quelque transposition de chronologie : mes contes prenants place selon leur opportunité, non tousiours selon leur aage.Secondement, à cause que pour mon regard, ie crains de prendre au change. Mon entendement ne va pas tousiours auant, il va à reculons aussi. Ie ne me deffic gueres moins de mes fantasies, pour estre secondes ou tierces, que premieres : ou presentes, que passees. Nous nous corri-