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Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 3.djvu/468

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autre party, et mal voulu. Ainsi du reste. Ie hay les morceaux que la necessité me taille. Toute commodité me tiendroit à la gorge, de laquelle seule l’aurois à despendre :

Alter remus aquas, alter mihi radat arenas.

Vne seule corde ne m’arreste iamais assez.Il y a de la vanité, dites vous, en cet amusement. Mais où non ? Et ces beaux preceptes, sont vanité, et vanité toute la sagesse. Dominus nouit cogitationes sapientium, quoniam vanæ sunt. Ces exquises subtilitez, ne sont propres qu’au presche. Ce sont discours qui nous veulent enuoyer tous bastez en l’autre monde. La vie est vn mouuement materiel et corporel action imparfaicte de sa propre essence, et desreglée. Ie m’employe à la seruir selon elle

Quisque suos patimur manes.

Sic est faciendum, vt contra naturam vniuersam nihil contendamus : ea tamen conseruata, propriam sequamur. À quoy faire, ces poinctes esleuées de la philosophie, sur lesquelles, aucun estre humain ne se peut rasseoir et ces regles qui excedent nostre vsage et nostre force ?Ie voy souuent qu’on nous propose des images de vie, lesquelles, ny le proposant, ny les auditeurs, n’ont aucune esperance de suiure, ny qui plus est, enuie. De ce mesme papier où il vient d’escrire l’arrest de condemnation contre vn adultere, le inge en desrobe vn lopin, pour en faire vn poulet à la femme de son compagnon. Celle à qui vous viendrez de vous frotter illicitement, criera plus asprement, tantost, en vostre presence mesme, à l’encontre d’vne pareille faute de sa compaigne, que ne feroit Porcie. Et tel condamne les hommes à mourir, pour des crimes, qu’il n’estime point fautes. l’ay veu en ma ieunesse, vn galant homme. presenter d’vne main au peuple des vers excellens et en beauté et en desbordement ; et de l’autre main en mesme instant, la plus quereleuse reformation theologienne, dequoy le monde se soit des— iconé il y a long temps. Les hommes vont ainsin. On laisse les loix, et preceptes suiure leur voye, nous en tenons vne autre. Nou par desreglement de mours seulement, mais par opinion souuent, et par iugement contraire. Sentez lire vn discours de philosophie : l’inuention, l’eloquence, la pertinence, frappe incontinent vostre esprit, et vous esmeut. Il n’y a rien qui chatouille ou poigne vostre conscience : ce n’est pas à elle qu’on parle. Est-il pas vray ? Si disoit Ariston, que ny yne estune ny vne leçon, n’est d’aucun fruict