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Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 3.djvu/494

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geres, i’ay promis de les prendre en main, non pas au poulmon et au foye ; de m’en charger, non de les incorporer : de m’en soigner, ouy ; de m’en passionner, nullement : i’y regarde, mais ie ne les coume point. l’ay assez affaire à disposer et ranger la presse domestique que i’ay dans mes entrailles, et dans mes veines, sans y loger, et me fouler d’vne presse estrangere. Et suis assez interessé de mes affaires essentiels, propres, et naturels, sans en conuier d’autres forains. Ceux qui sçauent combien ils se doiuent, et de combien d’offices ils sont obligez a eux, trouuent que Nature leur a donné cette commission plaine assez, et uullement oysifue. Tu as bien largement affaire chez toy, ne l’esloigne pas.Les hommes se donnent à louage. Leurs facultez ne sont pas pour eux ; elles sont pour ceux, à qui ils s’asseruissent ; leurs locataires sont chez eux, ce ne sont pas eux. Cette humeur commune ne me plaist pas. Il faut mesnager la liberté de nostre ame, et ne l’hypotequer qu’aux occasions iustes. Lesquelles sont en bien petit nombre, si nous ingeons sainement. Voyez les gens appris à se laisser emporter et saisir, ils le sont par tout. Aux petites choses comme aux grandes ; à ce qui ne les touche point, comme à ce qui les touche. Ils s’ingerent indifferemment où il y a de la besongne ; et sont sans vie, quand ils sont sans agitation tumultuaire. In negotiis sunt, negotij causa. Ils ne cherchent la besongne que pour embesongnement. Ce n’est pas, qu’ils vueillent aller, tant, comme c’est, qu’ils ne se peuuent tenir. Ne plus ne moins, qu’vne pierre esbranlée en sa cheute, qui ne s’arreste iusqu’à tant qu’elle se couche. L’occupation est à. certaine maniere de gents, marque de suffisance et de dignité. Leur esprit cherche son repos au bransle, comme les enfans au berceau. Ils se peuuent dire autant seruiables à leurs amis, comme importuns à eux mesmes. Personne ne distribue son argent à autruy, chacun y distribue son temps et sa vie. Il n’est rien dequoy nous soyons si prodigues, que de ces choses là, desquelles seules l’auarice nous seroit vtile et louable. Ie prens vne complexion toute diverse. Ie me tiens sur moy. Et communément desire mollement re que ie desire, et desire peu : m’occupe et embesongne de mesme, rarement et tranquillement. Tout ce qu’ils veulent et conduisent, ils le font de toute leur volonté et vehemence. Il y a tant de mau-