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ESSAIS DE MONTAIGNE

tière, et quand et quand un naturel doux et traitable, j’étais parmi cela si pesant, mou et endormi, qu’on ne me pouvait arracher de l’oisiveté, non pas pour me faire jouer. Ce que je voyais, je le voyais bien, et, sous cette complexion lourde, nourrissais des imaginations hardies et des opinions au-dessus de mon âge. L’esprit, je l’avais lent, et qui n’allait qu’autant qu’on le menait ; l’appréhension tardive, l’invention lâche ; et, après tout, un incroyable défaut de mémoire. De tout cela, il n’est pas merveille s’il ne sût rien tirer qui vaille. Secondement, comme ceux que presse un furieux désir de guérison se laissent aller à toute sorte de conseils, le bon homme, ayant extrême peur de faillir en chose qu’il avait tant à cœur, se laissa enfin emporter à l’opinion commune, qui suit toujours ceux qui vont devant, comme les grues, et se rangea à la coutume, n’ayant plus autour de lui ceux qui lui avaient donné ces premières institutions, qu’il avait apportées d’Italie ; et m’envoya environ mes six ans au collège de Guienne, très-florissant pour lors et le meilleur de France ; et là, il n’est possible de rien ajouter au soin qu’il eut, et à me choisir des précepteurs de chambre suffisants, et à toutes les autres circonstances de ma nourriture[1], en laquelle il réserva plusieurs façons particulières, contre l’usage des colléges ; mais tant y a que c’était toujours collége. Mon latin s’abâtardit incontinent, duquel depuis par désaccoutumance j’ai perdu tout usage ; et ne me servit cette mienne inaccoutumée institution que de me faire enjamber d’arrivée aux premières classes ; car, à treize ans que je sortis du collége, j’avais

  1. Éducation.