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CHAPITRE XV.

achevé mon cours (qu’ils appellent), et, à la vérité, sans aucun fruit que je puisse à présent mettre en compte.

Le premier goût que j’eus aux livres, il me vint du plaisir des fables de la Métamorphose d’Ovide ; car environ l’âge de sept ou huit ans, je me dérobais de tout autre plaisir pour les lire, d’autant que cette langue était la mienne maternelle et que c’était le plus aisé livre que je connusse et le mieux accommodé à la faiblesse de mon âge, à cause de la matière ; car des Lancelotsdu Lac, des Amadis, des Huons de Bordeaux, et tels fatras de livres à quoi l’enfance s’amuse, je n’en connaissais pas seulement le nom, ni ne fais encore le corps ; tant exacte était ma discipline ! Je m’en rendais plus nonchalant à l’étude de mes autres leçons prescrites. Là, il me vint singulièrement à propos d’avoir affaire à un homme d’entendement de précepteur, qui sut dextrement conniver à cette mienne débauche et autres pareilles, car par-là j’enfilai tout d’un train Virgile en l’Énéide, et puis Térence, et puis Plaute, et des comédies italiennes, leurré toujours par la douceur du sujet. S’il eût été si fou de rompre ce train, j’estime que je n’eusse rapporté du collége que la haine des livres, comme fait quasi toute notre noblesse. Il s’y gouverna ingénieusement, faisant semblant de n’en voir rien ; il aiguisait ma faim, ne me laissant qu’à la dérobée gourmander ces livres et me tenant doucement en office pour les autres études de la règle ; car les principales parties que mon père cherchait à ceux à qui il donnait charge de moi, c’était la débonnaireté et facilité de complexion. Aussi n’avait la mienne autre vice que langueur et paresse. Le danger n’était pas que je fisse mal, mais que je ne fisse rien ; nul ne pronostiquait que je