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ESSAIS DE MONTAIGNE

CHAPITRE XVI.

c’est folie de rapporter le vrai et le faux au jugement de notre suffisance.


Ce n’est pas à l’aventure sans raison que nous attribuons à simplesse et ignorance la facilité de croire et de se laisser persuader ; car il me semble avoir appris autrefois que la créance était comme une impression qui se faisait en notre âme ; et à mesure qu’elle se trouvait plus molle et de moindre résistance, il était plus aisé à y empreindre quelque chose. D’autant que si l’âme est vide et sans contrepoids, elle se baisse plus facilement sous la charge de la première persuasion. Voilà pourquoi les enfants, le vulgaire, les femmes et les malades sont plus sujets à être menés par les oreilles. Mais aussi, de l’autre part, c’est une sotte présomption d’aller dédaignant et condamnant pour faux ce qui ne nous semble pas vraisemblable : qui est un vice ordinaire de ceux qui pensent avoir quelque suffisance outre la commune. J’en faisais ainsi autrefois ; et si j’oyais parler ou des esprits qui reviennent, ou du pronostic des choses futures, des enchantements, des sorcelleries, ou faire quelque autre conte où je ne pusse pas mordre, il me venait compassion du pauvre peuple abusé de ces folies. Et, à présent, je trouve que j’étais pour le moins autant à plaindre moi-même ; non que l’expérience m’ait depuis rien fait voir au-dessus de mes premières créances, et si n’a pas tenu à ma curiosité ; mais la raison m’a ins-