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CHAPITRE XVII.

belles et généreuses, et d’autant moins amitiés qu’elles mêlent autre cause et but et fruit en l’amitié qu’elle-même. Ni ces espèces anciennes, naturelles, sociales, hospitalières, particulièrement n’y conviennent, ni conjointement.

Des enfants aux pères, c’est plutôt respect. L’amitié se nourrit de communication, qui ne peut se trouver entre eux pour la trop grande disparité, et offenserait à l’aventure les devoirs de nature : car ni toutes les secrètes pensées des pères ne se peuvent communiquer aux enfants, pour n’y engendrer une messéante privauté ; ni les avertissements et corrections, qui est un des premiers offices d’amitié, ne se pourraient exercer des enfants aux pères. Il s’est trouvé des nations où, par usage, les enfants tutoient leurs pères, et d’autres où les pères tutoient leurs enfants, pour éviter l’empêchement qu’ils se peuvent quelquefois entreporter : et naturellement l’un dépend de la ruine de l’autre. C’est, à la vérité, un beau nom et plein de dilection que le nom de frère, et à cette cause en fîmes-nous, lui et moi, notre alliance ; mais ce mélange de biens, ces partages, et que la richesse de l’un soit la pauvreté de l’autre, cela détrempe merveilleusement et relâche cette soudure fraternelle ; les frères, ayant à conduire le progrès de leur avancement en même sentier et même train, il est force qu’ils se heurtent et choquent souvent. Davantage, la correspondance et relation qui engendre ces vraies et parfaites amitiés, pourquoi se trouvera-t-elle en ceux-ci ? Le père et le fils peuvent être de complexion entièrement éloignée, et les frères aussi : c’est mon fils, c’est mon parent, mais c’est un homme farouche, un mé-