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Page:Montaigne - Essais, Musart, 1847.djvu/153

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CHAPITRE XVII.

mais je me fusse certainement plus volontiers fié à lui de moi qu’à moi.

Qu’on ne me mette pas en ce rang ces autres amitiés communes ; j’en ai autant de connaissance qu’un autre, et des plus parfaites de leur genre ; mais je ne conseille pas qu’on confonde leurs règles ; on s’y tromperait. Il faut marcher en ces autres amitiés la bride à la main, avec prudence et précaution ; la liaison n’est pas nouée en manière qu’on n’ait aucunement à s’en défier. « Aimez-le, disait Chilon, comme ayant quelque jour à le haïr ; haïssez-le comme ayant à l’aimer. » Ce précepte, qui est si abominable en cette souveraine et maîtresse amitié, il est salubre en l’usage des amitiés ordinaires et coutumières ; à l’endroit desquelles il faut employer le mot qu’Aristote avait très-familier : « O mes amis ! il n’y a nul ami. »

En ce noble commerce, les offices et les bienfaits, nourriciers des autres amitiés, ne méritent pas seulement d’être mis en compte. Cette confusion si pleine de nos volontés en est cause ; car tout ainsi que l’amitié que je me porte ne reçoit point augmentation pour le secours que je me donne au besoin, quoi que disent les stoïciens, et comme je ne me sais aucun gré du service que je me fais, aussi l’union de tels amis étant véritablement parfaite, elle leur fait perdre le sentiment de tels devoirs, et haïr et chasser d’entre eux ces mots de division et de différence, bienfait, obligation, reconnaissance, prière, remerciement, et leurs pareils. Tout étant, par effet, commun entre eux, volontés, pensements, jugements, biens, honneur et vie, et leur convenance n’étant qu’une âme en deux corps, selon la très-propre définition d’A-