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Page:Montaigne - Essais, Musart, 1847.djvu/164

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ESSAIS DE MONTAIGNE

sa raison et sa conscience, si bien qu’il ne puisse broncher en leur présence. Socrate dit que les jeunes se doivent faire instruire ; les hommes s’exercer à bien faire ; les vieux se retirer de toute occupation civile et militaire, vivant à leur discrétion, sans obligation à certain office.

Il y a des complexions plus propres à ces préceptes de la retraite les unes que les autres. Celles qui ont l’appréhension molle et lâche, et une affection et volonté délicates, et qui ne s’asservit ni s’emploie pas aisément, desquelles je suis et par naturelle condition et par discours ; ils se plieront mieux à ce conseil que les âmes actives et occupées qui embrassent tout et s’engagent partout, qui se passionnent de toutes choses, qui s’offrent, qui se présentent et qui se donnent à toute occasion. Il se faut servir de ces commodités accidentelles et hors de nous, en tant qu’elles nous sont plaisantes, mais sans en faire notre principal fondement ; ce ne l’est pas : ni la raison, ni la nature ne le veulent. Pourquoi, contre ses lois, asservirions-nous notre contentement à la puissance d’autrui ? D’anticiper aussi les accidents de fortune ; se priver des commodités qui nous sont en main, comme plusieurs ont fait par dévotion[1], et quelques philosophes par discours ; se servir soi-même, coucher sur la dure, se crever les yeux, jeter ses richesses emmi la rivière, rechercher la douleur ; ceux-là pour, par le tourment de cette vie, en acquérir la béatitude d’une autre ; ceux-ci pour, s’étant logés en la plus basse marche, se mettre en sûreté de nouvelle chute, c’est

  1. Montaigne semble oublier les motifs sublimes de la solitude chrétienne. Il y revient toutefois un peu plus bas.