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CHAPITRE XVIII.

l’action d’une vertu excessive. Que les natures plus raides et plus fortes fassent leur cachette, même glorieuse et exemplaire : il y a pour moi assez à faire, sans aller si avant. Il me suffit, sous la faveur de la fortune, de me préparer à sa défaveur, et me représenter, étant à mon aise, le mal à venir, autant que l’imagination y peut atteindre : tout-ainsi que nous nous accoutumons aux joûtes et tournois, et contrefaisons la guerre en pleine paix.

Je n’estime point Arcesilas le philosophe moins réformé, pour le savoir avoir usé d’ustensiles d’or et d’argent, selon que la condition de sa fortune le lui permettait ; et l’estime mieux de ce qu’il en usait modérément et libéralement que s’il s’en fût démis. Je vois jusqu’à quelles limites va la nécessité naturelle : et, considérant le pauvre mendiant à ma porte, souvent plus enjoué et plus sain que moi, je me plante en sa place ; j’essaie de chausser mon âme à son biais : et, courant ainsi par les autres exemples, quoique je pense la mort, la pauvreté, le mépris et la maladie à mes talons, je me résous aisément de n’entrer en effroi de ce qu’un moindre que moi prend avec telle patience ; et ne veux croire que la bassesse de l’entendement puisse plus que la vigueur, ou que les effets du discours ne puissent arriver aux effets de l’accoutumance. Et connaissant combien ces commodités accessoires tiennent à peu, je ne laisse pas en pleine jouissance de supplier Dieu, pour ma souveraine requête, qu’il me rende content de moi-même et des biens qui naissent de moi. Je vois dos jeunes hommes gaillards qui portent, nonobstant, dans leurs coffres, une masse de pilules pour s’en servir quand le rhume les