Page:Montaigne - Essais, Musart, 1847.djvu/166

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
160
ESSAIS DE MONTAIGNE

pressera, lequel ils craignent d’autant moins qu’ils en pensent avoir le remède en main : ainsi faut-il faire ; et encore, si on se sent sujet à quelque maladie plus forte, se garnir de ces médicaments qui assoupissent et endorment la partie.

L’occupation qu’il faut choisir à une telle vie, ce doit être une occupation non pénible ni ennuyeuse ; autrement pour néant ferions-nous état d’y être venus chercher le séjour. Cela dépend du goût particulier d’un chacun. Le mien ne s’accommode aucunement au ménage : ceux qui l’aiment, ils s’y doivent adonner avec modération ; c’est autrement un oflice servile que la ménagerie, comme le nomme Salluste. Elle a des parties plus excusables, comme le soin des jardinages, que Xénophon attribue à Cyrus ; et se peut trouver un moyen entre ce bas et vil soin, tendu et plein de sollicitude, qu’on voit aux hommes qui s’y plongent du tout, et cette profonde et extrême nonchalance laissant tout aller à l’abandon, qu’on voit en d’autres.

Mais oyons le conseil que donne le jeune Pline à Cornelius Rufus son ami, sur ce propos de la solitude : « Je te conseille, en cette pleine et grasse retraite où tu es, de quitter à tes gens ce bas et abject soin du ménage, et t’adonner à l’étude des lettres, pour en tirer quelque chose qui soit toute tienne. » Il entend la réputation : d une pareille humeur à celle de Cicéron, qui dit vouloir employer sa solitude et séjour[1] des affaires publiques à s’en acquérir par ses écrits une vie immortelle. Il semble que ce soit raison, puisqu’on parle de se retirer du monde,

  1. Séparation.