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CHAPITRE XXI.

Église tous les jours la faveur de son entrée et société aux mœurs obstinées à quelque insigne malice.

Nous prions par usage et par coutume, ou pour mieux dire, nous lisons ou prononçons nos prières. Ce n’est enfin que mine, et me déplaît de voir faire trois signes de croix au Benedicite, autant à Grâces (et plus m’en déplaît-il de ce que c’est un signe que j’ai en révérence et continuel usage, mêmement quand je baille), et cependant, toutes les autres heures du jour, les voir occupées à la haine, l’avarice, l’injustice : aux vices leur heure ; son heure à Dieu, comme par compensation et composition. C’est miracle de voir continuer des actions si diverses, d’une si pareille teneur, qu’il ne s’y sente point d’interruption et d’altération, aux confins même et passage de l’une à l’autre. Quelle prodigieuse conscience se peut donner repos, nourrissant en même gîte, d’une société si accordante et si paisible, le crime et le juge ?…

Ce n’est pas sans grande raison, ce me semble, que l’Église défend l’usage promiscue, téméraire et indiscret, des saintes et divines chansons que le Saint-Esprit a dicté en David. Il ne faut mêler Dieu en nos actions qu’avec révérence et attention pleine d’honneur et de respect. Cette voix est trop divine pour n’avoir autre usage que d’exercer les poumons et plaire à nos oreilles ; c’est de la conscience qu’elle doit être produite, et non pas de la langue. Ce n’est pas raison qu’on permette qu’un garçon de boutique, parmi ces vains et frivoles pensements, s’en entretienne et s’enjoue ; ni n’est certes raison de voir tracasser, par une salle et par une cuisine, le saint livre des sacrés mystères de notre créance : c’étaient autrefois mystères, ce sont à présent déduits