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ESSAIS DE MONTAIGNE

à nous aider : mais encore qu’il daigne nous honorer de cette douce alliance paternelle, il est pourtant autant juste comme il est bon et comme il est puissant. Mais il use bien plus souvent de sa justice que de son pouvoir[1], et nous favorise selon la raison d’icelle, non selon nos demandes.

Platon, en ses lois, fait trois sortes d’injurieuses créances des dieux : « Qu’il n’y en ait point ; qu’ils ne se mêlent pas de nos affaires ; qu’ils ne refusent rien à nos vœux, offrandes et sacrifices. » La première erreur, selon son avis, ne demeura jamais immuable en homme depuis son enfance jusqu’à sa vieillesse. Les deux suivantes peuvent souffrir de la constance.

Sa justice et sa puissance sont inséparables : pour néant implorons-nous sa force en une mauvaise cause. Il faut avoir l’âme nette, au moins en ce moment auquel nous le prions, et déchargée de passions vicieuses ; autrement nous lui présentons nous-mêmes les verges de quoi nous châtier : au lieu de rhabiller notre faute, nous la redoublons, présentant à celui-à qui nous avons à demander pardon une affection pleine d’irrévérence et de haine. Voilà pourquoi je ne loue pas volontiers ceux que je vois prier Dieu plus souvent et plus ordinairement, si les actions voisines de la prière ne me témoignent quelque amendement et réformation ; et l’assiette d’un homme mêlant à une vie exécrable la dévotion semble être aucunement plus condamnable que celle d’un homme conforme à soi, et dissolu partout. Pourtant[2] refuse notre

  1. En usant de sa justice, il use aussi de son pouvoir ; sa bonté, quoi qu’en dise l’auteur, se manifeste à tout instant.
  2. Pour cela.