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CHAPITRE XXI.

dipe en les lui octroyant : il avait prié que ses enfants vidassent entre eux, par armes, la succession de son État ; il fut si misérable de se voir pris au mot ! Il ne faut pas demander que toutes choses suivent notre volonté, mais qu’elles suivent la prudence.

Il semble, à la vérité, que nous nous servons de nos prières comme d’un jargon, et comme ceux qui emploient les paroles saintes et divines à des sorcelleries et effets magiciens ; et que nous fassions notre compte que ce soit de la contexture, ou son, ou suite des mots, ou de notre contenance, que dépende leur effet ; car, ayant l’âme pleine de concupiscence, non touchée de repentance ni d’aucune nouvelle réconciliation envers Dieu, nous lui allons présenter ces paroles que la mémoire prête à notre langue, et espérons en tirer une expiation de nos fautes.

Il n’est rien si aisé, si doux et favorable que la loi divine ; elle nous appelle à soi, ainsi fautiers et détestables comme nous sommes ; elle nous tend les bras et nous reçoit en son giron, pour vilains, ords et bourbeux que que nous soyons et que nous ayons à être à l’avenir ; mais encore, en récompense, la faut-il garder d’un bon œil ; encore faut-il recevoir ce pardon avec action de grâces ; et au moins, pour cet instant que nous nous adressons à elle, avoir l’âme déplaisante de ses fautes, et ennemie des passions qui nous ont poussé à l’offenser. Ni les dieux, ni les gens de bien, dit Platon, n’acceptent le présent d’un méchant[1].

  1. Tout ce chapitre renferme d’excellents principes sur la prière : Montaigne toutefois les a mêlés de fantaisies siennes, qui en gâtent un peu l’orthodoxie.