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ESSAIS DE MONTAIGNE

CHAPITRE XXII.

de l’inconstance de nos actions.


Ceux qui s’exercent à contrôler les actions humaines, ne se trouvent en aucune partie si empêchés qu’à les rapiécer et mettre à même lustre ; car elles se contredisent communément de si étrange façon, qu’il semble impossible qu’elles soient parties de même boutique. Qui croirait que ce fût Néron, cette vraie image de cruauté, qui, comme on lui présenta à signer, suivant le style, la sentence d’un criminel condamné, eût répondu : — Plût à Dieu que je n’eusse jamais su écrire ! Tant le cœur lui serrait, de condamner un homme à mort ! Tout est si plein de tels exemples, voire chacun en peut tant fournir à soi-même, que je trouve étrange de voir quelquefois des gens d’entendement se mettre en peine, d’assortir ces pièces, vu que l’irrésolution me semble le plus commun et apparent vice de notre nature.

Il y a quelque apparence de faire jugement d’un homme par les plus communs traits de sa vie ; mais, vu la naturelle instabilité de nos mœurs et opinions, il m’a semblé souvent que les bon3 auteurs mêmes ont tort de s’opiniâtrer à former de nous une constante et solide contexture : ils choisissent un air universel, et, suivant cette image, vont rangeant et interprétant toutes les actions d’un personnage ; et s’ils ne les peuvent assez tordre, les renvoient à la dissimulation. Auguste leur est échappé, car il se trouve en cet homme une variété