Page:Montaigne - Essais, Musart, 1847.djvu/203

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
197
CHAPITRE XXIV.

nourri en mêmes lois, mêmes mœurs et air, qu’il est malaisé d’y éviter confusion et désordre. Cela me faisait craindre à moi-même de rencontrer nos troupes en lieu où je ne fusse connu, pour n’être en peine de dire mon nom, et de pis à l’aventure, comme il m’était autrefois advenu ; car en un tel mécompte, je perdis et hommes et chevaux, et m’y tua-t-on misérablement entre autres un page, gentilhomme italien, que je nourrissais soigneusement, et fut éteinte en lui une très-belle enfance et pleine de grande espérance. Mais celui-ci en avait une frayeur si éperdue, et je le voyais si mort, à chaque rencontre d’hommes à cheval et passage de villes qui tenaient pour le Roi, que je devinai enfin que c’étaient alarmes que sa conscience lui donnait. Il semblait à ce pauvre homme, qu’au travers de son masque et des croix de sa casaque, on irait lire jusque dans son cœur ses secrètes intentions ; tant est merveilleux l’effort de la conscience ! Elle nous fait trahir, accuser et combattre nous-mêmes ; et à faute de témoin étranger, elle nous produit contre nous.

Ce conte est en la bouche des enfants : Bessus, Péonien, reproché d’avoir, de gaîté de cœur, abattu un nid de moineaux et les avoir tués, disait avoir eu raison, parce que ces oisillons ne cessaient de l’accuser faussement du meurtre de son père. Ce parricide, jusque lors, avait été occulte et inconnu ; mais les furies vengeresses de la conscience le firent mettre hors à celui même qui en devait porter la pénitence. Hésiode corrige le dire de Platon, « que la peine suit de bien près le péché ; » car il dit « qu’elle naît en l’instant et quand et quand le péché. » Quiconque attend la peine, il la souffre ; et qui-