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CHAPITRE XXV.

met Cicéron en avant l’éloquence d’Hortensius, Hortensius celle de Cicéron ? À l’aventure, entendent-ils que je témoigne de moi par ouvrage et effets, non nuement par des paroles. Je peins principalement mes cogitations, sujet informe qui ne peut tomber en production ouvragère ; à toute peine le puis-je coucher en ce corps aéré de la voix. Des plus sages hommes et des plus dévots ont vécu fuyant tous apparents effets. Les effets diraient plus de la fortune que de moi : ils témoignent leur rôle, non pas le mien, si ce n’est conjecturalement et incertainement ; échantillons d’une montre particulière. Je m’étale entier : c’est un skeletos où, d’une vue, les veines, les muscles, les tendons, paraissent, chaque pièce en son siége ; l’effet de la toux en produisait une partie, l’effet de la pâleur ou battement de cœur une autre, et douteusement. Ce ne sont mes gestes que j’écris ; c’est moi, c’est mon essence.

Je tiens qu’il faut être prudent à estimer de soi, et pareillement consciencieux à en témoigner, soit bas, soit haut, indifféremment. Si je me semblais bon et sage tout-à-fait, je l’entonnerais à pleine tête. De dire moins de soi qu’il n’y en a, c’est sottise, non modestie ; se payer de moins qu’on ne vaut, c’est lâcheté et pusillanimité, selon Aristote. Nulle vertu ne s’aide de la fausseté ; et la vérité n’est jamais matière d’erreur. De dire de soi plus qu’il n’y en a, ce n’est pas toujours présomption, c’est encore souvent sottise à se complaire outre mesure de ce qu’on est ; et tomber en amour de soi indiscrète est, à mon avis, la substance de ce vice. Le suprême remède à le guérir, c’est faire tout le rebours de ce que ceux-ci ordonnent, qui, en défendant le parler de soi, défendent