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Page:Montaigne - Essais, Musart, 1847.djvu/225

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CHAPITRE XXVI.

dit, il est besoin qu’on ait perdu la mémoire du premier, et du mépris auquel il est chu.

Ce lieu pourrait recevoir quelque discours sur la considération de la vaillance, et différence de cette vertu aux autres ; mais Plutarque, étant souvent retombé sur ce propos, je me mêlerais pour néant de rapporter ici ce qu’il en dit. Ceci est digne d’être considéré, que notre nation donne à la vaillance le premier degré des vertus, comme son nom montre, qui vient de valeur : et qu’à notre usage, quand nous disons un homme qui vaut beaucoup, ou un homme de bien, au style de notre cour et de notre noblesse, ce n’est à dire autre chose qu’un vaillant homme, d’une façon pareille à la romaine ; car la générale appellation de vertu prend chez eux étymologie de la force. La forme propre, et seule, et essentielle, de noblesse en France, c’est la vacation militaire. Il est vraisemblable que la première vertu qui se soit fait paraître entre les hommes, et qui a donné avantage aux uns sur les autres, ç’a été celle-ci, par laquelle les plus forts et courageux se sont rendus maîtres des plus faibles, et ont acquis rang et réputation particulière, d’où lui est demeuré cet honneur et dignité de langage ; ou bien, que ces nations, étant très-belliqueuses, ont donné le prix à celle des vertus qui leur était plus familière, et le plus digne titre.