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ESSAIS DE MONTAIGNE.

douce liberté des premières lois de nature, je l’assure que je m’y fusse très-volontiers peint tout entier. Ainsi, lecteur, je suis moi-même la matière de mon livre ; ce n’est pas raison que tu emploies ton loisir en un sujet si frivole et si vain ; adieu donc.

De Montaigne, ce 12 juin 1580.



CHAPITRE PREMIER.

par divers moyens on arrive à pareille fin.


La plus commune façon d’amollir les cœurs de ceux qu’on a offensés, lorsque ayant la vengeance en main ils nous tiennent à leur merci, c’est de les émouvoir par soumission à commisération et à pitié ; toutefois, la braverie, la constance et la résolution, moyens tout contraires, ont quelquefois servi à ce même effet.

Édouard, prince de Galles, celui qui régenta si longtemps notre Guienne, personnage duquel les conditions et la fortune ont beaucoup de notables parties de grandeur, ayant été bien fort offensé par les Limousins et prenant leur ville par force, ne put être arrêté par les cris du peuple et des femmes et enfants abandonnés à la boucherie, lui criant merci et se jetant à ses pieds ; jusqu’à ce que, passant toujours outre dans la ville, il aperçut trois gentilshommes français, qui, d’une hardiesse incroyable, soutenaient seuls l’effort de son armée victorieuse. La considération et le respect d’une si notable vertu rebroussa premièrement la pointe de sa