Page:Montaigne - Essais, Musart, 1847.djvu/245

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
239
CHAPITRE XXVII.

chose de trop longue suite et de trop de poids pour être ainsi promenée à chaque instant, et en laquelle les sages se plantent une fois pour toutes, regardant surtout à la raison et observance publique. Nous prenons un peu trop à cœur ces substitutions masculines et proposons une éternité ridicule à nos noms. Nous pesons aussi trop les vaines conjectures de l’avenir, que nous donnent les esprits puérils. À l’aventure eût-on fait injustice de me déplacer de mon rang, pour avoir été le plus lourd et plombé, le plus long et dégoûté en ma leçon, non-seulement de tous mes frères, mais de tous les enfants de ma province, soit leçon d’exercice d’esprit, soit leçon d’exercice de corps. C’est folie de faire des triages extraordinaires, sur la foi de ces divinations auxquelles nous sommes si souvent trompés. Si on peut blesser cette règle et corriger les destinées au choix qu’elles ont fait de nos héritiers, on le peut, avec plus d’apparence, en considération de quelque remarquable et énorme difformité corporelle, vice constant, inamendable, et, selon nous grands estimateurs de la beauté, d’important préjudice.

Le plaisant dialogue du législateur de Platon avec ses citoyens fera honneur à ce passage. « Comment donc, disent-ils, sentant leur lin prochaine, ne pourrons-nous point disposer de ce qui est à nous à qui il nous plaira ? O dieux ! quelle cruauté qu’il ne nous soit loisible, selon que les nôtres nous auront servi en nos maladies, en notre vieillesse, en nos affaires, de leur donner plus ou moins, selon nos fantaisies ! » À quoi le législateur répond en cette manière : « Mes amis, qui avez sans doute bientôt à mourir, il est malaisé et que vous vous connaissiez