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ESSAIS DE MONTAIGNE.

se loge ; il n’est rien de quoi je fasse moins de profession. Ce sont ici mes fantaisies, par lesquelles je ne tâche point de donner à connaître les choses, mais moi ; elles me seront à l’aventure connues un jour, ou l’ont autrefois été, selon que la fortune m’a pu porter sur les lieux où elles étaient éclaircies ; mais il ne m’en souvient plus ; et si je suis homme de quelque leçon, je suis homme de nulle rétention : ainsi je ne pleuvis[1] aucune certitude, si ce n’est de faire connaître jusqu’à quel point monte, pour cette heure, la connaissance que j’en ai. Qu’on ne s’attende pas aux matières, mais à la façon que j’y donne : qu’on voie, en ce que j’emprunte, si j’ai su choisir de quoi rehausser ou secourir proprement l’invention, qui vient toujours de moi : car je fais dire aux autres, non à ma tête, mais à ma suite, ce que je ne puis si bien dire, tantôt par faiblesse de mon langage, tantôt par faiblesse de mon sens. Je ne compte pas mes emprunts, je les pèse ; et si je les eusse voulu faire valoir par nombre, je m’en fusse chargé deux fois autant : ils sont tous, ou fort peu s’en faut, de noms si fameux et anciens, qu’ils me semblent se nommer assez sans moi. Aux raisons, comparaisons, arguments, si j’en transplante quelqu’un en mon solage[2] et confonds aux miens ; à escient j’en cache l’auteur, pour tenir en bride la témérité de ces sentences hâtives qui se jettent sur toutes sortes d’écrits, notamment jeunes écrits, d’hommes encore vivants, et en vulgaire[3], qui reçoit tout le monde à en parler, et qui semble convaincre la conception et le dessein vulgaire de

  1. Je ne garantis.Pleuvir, promettre.
  2. En mon sol.
  3. En langage vulgaire.