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CHAPITRE XXVIII.

même : je veux qu’ils donnent une nasarde à Plutarque sur mon nez, et qu’ils s’échaudent à injurier Sénèque en moi. Il faut musser[1] ma faiblesse sous ces grands crédits.

J’aimerai quelqu’un qui me sache déplumer, je dis par clarté de jugement, et par la seule distinction de la force et beauté des propos : car moi, qui, à faute de mémoire, demeure court tous les coups à les trier par connaissance de nation, sais très-bien connaître, à mesurer ma portée, que mon terroir n’est aucunement capable d’aucunes fleurs trop riches que j’y trouve semées ; et que tous les fruits de mon crû ne les sauraient payer. De ceci suis-je tenu de répondre, si je m’empêche moi-même, s’il y a de la vanité et vice en mes discours, que je ne sente point ou que je ne sois capable de sentir en me le représentant : car il échappe souvent des fautes à nos yeux ; mais la maladie du jugement consiste à ne les pouvoir apercevoir, lorsqu’un autre nous les découvre. La science et la vérité peuvent loger chez nous sans jugement ; et le jugement y peut aussi être sans elles : voire la reconnaissance de l’ignorance est l’un des plus beaux et plus sûrs témoignages de jugement que je trouve. Je n’ai point d’autre sergent de bande à ranger mes pièces, que la fortune : à même que mes rêveries se présentent, je les entasse ; tantôt elles se pressent en foule, tantôt elles se traînent à la file. Je veux qu’on voie mon pas naturel et ordinaire, ainsi détraqué qu’il est ; je me laisse aller comme je me trouve ; aussi ne sont-ce point ici matières qu’il ne soit pas permis d’ignorer et d’en parler casuellement et témérairement. Je souhaiterais

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