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CHAPITRE XXVIII.

de celles qui surpassent à l’aventure ma suffisance, et que je ne tiens aucunement être de ma juridiction : ce que j’en opine, c’est aussi pour déclarer la mesure de ma vue, non la mesure des choses. Quand je me trouve dégoûté de l’Axiochus de Platon[1], comme d’un ouvrage sans force, eu égard à un tel auteur, mon jugement ne s’en croit pas : il n’est pas si outrecuidé de s’opposer à l’autorité de tant d’autres fameux jugements anciens, qu’il tient ses régents et ses maîtres, et avec lesquels il est plutôt content de faillir ; il s’en prend à soi, et se condamne, ou de s’arrêter à l’écorce, ne pouvant pénétrer jusques au fonds, ou de regarder la chose par quelque faux lustre. Il se contente de se garantir seulement du trouble et du déréglement : quant à sa faiblesse, il la reconnaît et avoue volontiers. Il pense donner juste interprétation aux apparences que sa conception lui présente ; mais elles sont imbécilles et imparfaites.

La plupart des fables d’Ésope ont plusieurs sens et intelligences : ceux qui les mythologisent en choisissent quelque visage qui cadre bien à la fable ; mais pour la plupart, ce n’est que le premier visage et superficiel ; il y en a d’autres plus vifs, plus essentiels et internes, auxquels ils n’ont su pénétrer voilà comme j’en fais.

Mais, pour suivre ma route, il m’a toujours semblé qu’en la poésie, Virgile, Lucrèce, Catulle et Horace tiennent de bien loin le premier rang ; et signamment Virgile en ses Géorgiques, que j’estime le plus accompli ouvrage de la poésie : à comparaison duquel on peut reconnaître aisément qu’il y a des endroits de l’Enéide,

  1. L’Axiochus n’est point de Platon ; Diogène Laërce l’avait déjà reconnu.