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ESSAIS DE MONTAIGNE.

auxquels l’auteur eût donné encore quelque tour de peigne, s’il en eût eu loisir ; et le cinquième livre en l’Enéide me semble le plus parfait. J’aime aussi Lucain, et le pratique volontiers, non tant pour son style que pour sa valeur propre et vérité de ses opinions et jugements. Quant au bon Térence, la mignardise et les grâces du langage latin, je le trouve admirable à représenter au vif les mouvements de l’âme et la condition de nos mœurs ; à toute heure nos actions me rejettent à lui : je ne le puis lire si souvent, que je n’y trouve quelque beauté et grâce nouvelle.

Ceux des temps voisins à Virgile se plaignaient de quoi aucuns lui comparaient Lucrèce : je suis d’opinion que c’est à la vérité une comparaison inégale ; mais j’ai bien à faire à me rassurer en cette créance, quand je me trouve attaché à quelque beau lieu de ceux de Lucrèce. S’ils se piquaient de cette comparaison, que diraient-ils de la bêtise et stupidité barbaresque de ceux qui lui comparent à cette heure Arioste ? et qu’en dirait Arioste lui-même ?

J’estime que les anciens avaient encore plus à se plaindre de ceux qui appareillaient Plaute à Térence (celui-ci sent bien mieux son gentilhomme), que Lucrèce à Virgile. Pour l’estimation et préférence de Térence, fait beaucoup que le père de l’éloquence romaine l’a si souvent en la bouche, seul de son rang, et la sentence que le premier juge des poètes romains donne de son compagnon. Il m’est souvent tombé en fantaisie, comme en notre temps, ceux qui se mêlent de faire des comédies (ainsi que les Italiens qui y sont assez heureux) emploient trois ou quatre arguments de celles de Térence ou de