Page:Montaigne - Essais, Musart, 1847.djvu/260

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
254
ESSAIS DE MONTAIGNE.

l’impudence, il n’y a plus de bride), sa façon d’écrire me semble ennuyeuse, et toute autre pareille façon : car ses préfaces, définitions, partitions, étymologies, consument la plupart de son ouvrage ; ce qu’il y a de vif et de moelle est étouffé par ses longueries d’apprêts. Si j’ai employé une heure à le lire, qui est beaucoup pour moi, et que je ramentoive ce que j’en ai tiré de suc et de substance, la plupart du temps je n’y trouve que du vent ; car il n’est pas encore venu aux arguments qui servent à son propos, et aux raisons qui touchent proprement le nœud que je cherche. Pour moi, qui ne demande qu’à devenir plus sage, non plus savant ou éloquent, ces ordonnances logiciennes et aristotéliques ne sont pas à propos ; je veux qu’on commence par le dernier point : j’entends assez ce que c’est que mort et volupté ; qu’on ne s’amuse pas à les anatomiser. Je cherche des raisons bonnes et fermes d’arrivée, qui m’instruisent à en soutenir l’effort ; ni les subtilités grammairiennes, ni l’ingénieuse contexture de paroles et d’argumentations n’y servent. Je veux des discours qui donnent la première charge dans le plus fort du doute : les siens languissent autour du pot ; ils sont bons pour l’école, pour le barreau et pour le sermon, où nous avons loisir de sommeiller, et sommes encore, un quart-d’heure après, assez à temps pour en retrouver le fil. Il est besoin de parler ainsi aux juges qu’on veut gagner à tort ou à droit, aux enfants et au vulgaire à qui il faut tout dire, et voir ce qui portera. Je ne veux pas qu’on s’emploie à me rendre attentif, et qu’on me crie cinquante fois : « Or oyez ! » ce sont autant de paroles perdues pour moi ; j’y viens tout préparé du logis. Il ne me faut point d’allèchement ni de sauce ; je