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ESSAIS DE MONTAIGNE.

des bruits qu’ils ramassent aux carrefours des villes.

Les seules bonnes histoires sont celles qui ont été écrites par ceux mêmes qui commandaient aux affaires, ou qui étaient participants à les conduire, ou au moins qui ont eu la fortune d’en conduire d’autres de même sorte : telles sont quasi toutes les grecques et romaines ; car plusieurs témoins oculaires ayant écrit de même sujet (comme il advenait en ce temps-là, que la grandeur et le savoir se rencontraient communément), s’il y a de la faute, elle doit être merveilleusement légère, et sur un accident fort douteux. Que peut-on espérer d’un médecin traitant de la guerre, ou d’un écolier traitant les desseins des princes ? Si nous voulons remarquer la religion que les Romains avaient en cela, il n’en faut que cet exemple : Asinius Pollio trouvait aux histoires même de César quelque mécompte en quoi il était tombé, pour n’avoir pu jeter les yeux en tous les endroits de son armée, et en avoir cru les particuliers qui lui rapportaient souvent des choses non assez vérifiées ; ou bien, pour n’avoir été assez curieusement averti par ses lieutenants des choses qu’ils avaient conduites en son absence. On peut voir par là si cette recherche de la vérité est délicate, qu’on ne se puisse pas fier d’un combat à la science de celui qui a commandé, ni aux soldats de ce qui s’est passé près d’eux, si, à la mode d’une information judiciaire, on ne confronte les témoins et reçoit les objets sur la preuve des ponctilles de chaque accident[1].

Pour subvenir un peu à la trahison de ma mémoire et à son défaut, si extrême qu’il m’est advenu plus d’une

  1. Les moindres détails île chaque fait.