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Page:Montaigne - Essais, Musart, 1847.djvu/292

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ESSAIS DE MONTAIGNE.

qu’on leur puisse opposer ; de façon que nous serons sur les termes de dire à nos parties : qu’ils souffrent la force de nos preuves, ou qu’ils nous en fassent voir ailleurs, et sur quelque autre sujet, de mieux tissues et mieux étoffées.

Mais je laisse ce discours, qui me tirerait plus loin que je ne voudrais suivre. J’en dirai seulemmt encore cela, que c’est la seule humilité et soumission qui peut effectuer un homme de bien. Il ne faut pas laisser au jugement de chacun la connaissance de son devoir ; il le lui faut prescrire, non pas le laisser choisir à son discours. Autrement, selon l’imbécilité et variété infinie de nos raisons et opinions, nous nom forgerions enfin des devoirs qui nous m'irittent à nous manger les uns les autres.

La première loi que Dieu donna jamais à l’homme fut une loi de pure obéissance ; ce fut un commandement nu et simple, où l’homme n’eut rien à connaitre et à causer, d’autant que l'obéir est le propre office d’une âme raisonnable et reconnaissant un céleste supérieur et bienfaiteur. De l’obéir et céder naît toute autre vertu, comme du cuider, tout péché. Et au rebours, la première tentation qui vînt à l’humaine nature de la part du diable, sa première poison s’insinua en nous par les pro^ messes qu’il nous fit de science et de connaissance : Eritis sicut dii, scientes bonum et malum[1]. Et les sirènes, pour piper Ulysse en Homère, et l’attirer en leurs dangereux et ruineux lacs, lui offrent en don la science. La peste de l’homme, c’est l’opinion de savoir.

  1. Vous serez comme des dieux, sachant le bien et le mal. Gènes., m, 3.