Page:Montaigne - Essais, Musart, 1847.djvu/291

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
285
CHAPITRE XXX.

sensibles, le soleil, les étoiles, les eaux et la terre, pour nous représenter les intelligibles. « Les choses invisibles de Dieu, dit saint Paul, apparaissent par la création du monde, considérant sa sapience éternelle et sa divinité par ses œuvres. »

Or, nos raisons et nos discours humains, c’est comme la matière lourde et stérile : la grâce de Dieu est en la forme ; c’est elle qui y donne la façon et le prix. Tout ainsi que les actions vertueuses de Socrate et de Caton demeurent vaines et inutiles, pour n’avoir en leur fin et n’avoir regardé l’amour et obéissance du vrai créateur de toutes choses, et pour avoir ignoré Dieu ; ainsi est-il de nos imaginations et discours ; ils ont quelque corps, mais une masse informe, sans façon et sans jour, si la foi et grâce de Dieu n’y sont jointes. La foi venant à teindre et illustrer les arguments de Sebond, elle les rend fermes et solide : ils sont capables de servir d’acheminement et de premier guide à un apprenti, pour le mettre à la voie de cette connaissance ; ils le façonnent aucunement et rendent capable de la grâce de Dieu, par le moyen de laquelle se parfournit et se perfect après notre créance.

Je sais un homme d’autorité, nourri aux lettres, qui m’a confessé avoir été ramené des erreurs de la mécréance par l’entremise des arguments de Sebond. Et quand on les dépouillera de cet ornement et du secours et approbation de la foi, et qu’on les prendra pour fantaisies pures humaines, pour en combattre ceux qui sont précipités aux épouvantables et horribles ténèbres de l’irréligion, ils se trouveront encore lors aussi solides et autant fermes que nuls autres de même condition