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ESSAIS DE MONTAIGNE.

tive avant tout autre chose ; refuse les occupations superflues et les pensées et propositions inutiles. Comme la folie, quand on lui octroyera ce qu’elle désire, ne sera pas contente, aussi est la sagesse contente de ce qui est présent, et ne se déplaît jamais de soi. Épicure dispense son sage de la prévoyance et souci de l’avenir.

Entre les lois qui regardent les trépassés, celle-ci me semble autant solide, qui oblige les actions des princes à être examinées après leur mort. Ils sont compagnons, sinon maîtres des lois : ce que la justice n’a pu sur leurs têtes, c’est raison qu’elle le puisse sur leur réputation et biens de leurs successeurs ; choses que souvent nous préférons à la vie. C’est une usance qui apporte des commodités singulières aux nations où elle est observée, et désirable à tous bons princes qui ont à se plaindre de ce qu’on traita la mémoire des méchants comme la leur. Nous devons la sujétion et obéissance également à tous rois, car elle regarde leur office ; mais l’estimation, non plus que l’affection, nous ne la devons qu’à leur vertu. Donnons à l’ordre politique de les souffrir patiemment indignes, de cèler leurs vices, d’aider de notre recommandation leurs actions indifférentes, pendant que leur autorité a besoin de notre appui ; mais notre commerce fini, ce n’est pas raison de refuser à la justice et à notre liberté l’expression de nos vrais sentiments, et nommément de refuser aux bons sujets la gloire d’avoir révéremment et fidèlement servi un maître, les imperfections duquel leur étaient si bien connues, frustrant la postérité d’un si utile exemple. Et ceux qui, par respect de quelque obligation privée, épousent iniquement la mémoire d’un prince mélouable, font justice particulière