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CHAPITRE III.

Je suis en prise de ces violentes passions ; j’ai l’appréhension naturellement dure, et je l’encroûte et épaissis tous les jours par discours.


CHAPITRE III.

nos affections s’emportent au-delà de nous.


Ceux qui accusait les hommes d’aller toujours béants après les choses futures, et nous apprennent à nous saisir des biens présents et nous rasseoir en ceux-là, comme n’ayant aucune prise sur ce qui est à venir, voire assez moins que nous n’avons sur ce qui est passé, touchent la plus commune des humaines erreurs ; s’ils osent appeler erreur chose à quoi nature même nous achemine pour le service de la continuation de son ouvrage, nous imprimant, comme assez d’autres, cette imagination fausse, plus jalouse de notre action que de notre science.

Nous ne sommes jamais chez nous ; nous sommes toujours au-delà ; la crainte, le désir, l’espérance, nous élancent vers l’avenir et nous dérobent le sentiment et la considération de ce qui est, pour nous amuser à ce qui sera, voire quand nous ne serons plus.

Ce grand précepte est souvent allégué en Platon : « Fais ton fait, et te connais. » Chacun de ces deux membres enveloppe généralement tout notre devoir, et semblablement enveloppe son compagnon. Qui aurait à faire son fait verrait que sa première leçon, c’est connaître ce qu’il est et ce qui lui est propre ; et qui se connaît ne prend plus le fait étranger pour le sien, s’aime et se cul-