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CHAPITRE IX.

nemis. » « Quoi, fit-il, serait-ce donc lâcheté de les battre en leur faisant place ? » et lui allègue Homère, qui loue en Ænéas la science de fuir. Et parce que Lachès, se ravisant, avoue cet usage aux Scythes et enfin généralement à tous gens de cheval, il lui allègue encore l’exemple des gens de pied lacédémoniens, nation sur toutes duite à combattre de pied ferme, qui, en la journée de Platée, ne pouvant ouvrir la phalange persienne, s’avisèrent de s’écarter et sier[1] arrière, pour, par l’opinion de leur fuite, faire rompre et dissoudre cette masse en les poursuivant, par où ils se donnèrent la victoire.

Touchant les Scythes, on dit d’eux, quand Darius alla pour les subjuguer, qu’il manda à leur roi force reproches, pour le voir toujours reculant devant lui et gauchissant la mêlée. À quoi Indathyrses, car ainsi se nommait-il, fit réponse : « Que ce n’était pour avoir peur de lui ni d’homme vivant ; mais que c’était la façon de marcher de sa nation, n’ayant ni terre cultivée, ni ville, ni maison à défendre, et à craindre que l’ennemi en pût faire profit ; mais s’il avait si grande faim d’y mordre, qu’il approchât pour voir le lieu de leurs anciennes sépultures, et que là il trouverait à qui parler tout son soûl. »

Toutefois aux canonnades, depuis qu’on leur est planté en butte, comme les occasions de la guerre portent souvent, il est messéant de s’ébranler pour la menace du coup ; d’autant que, par sa violence et vitesse, nous le tenons inévitable ; et y en a maint un qui, pour avoir

  1. Sier, pour se placer.