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ESSAIS DE MONTAIGNE

haussé la main et baissé la lête, en a, pour le moins, apprêlé à rire à ses compagnons. Si est-ce qu’au voyage que l’empereur Charles cinquième lit contre nous en Provence, le marquis de Guast étant allé reconnaître la ville d’Arles, et s’étant jeté hors du couvert d’un moulin à vent, à la faveur duquel il s’était approché, fut aperçu par les seigneurs de Bonneval et sénéchal d’Agenois, qui se promenaient sur le théâtre aux arènes : lesquels l’ayant montré au sieur de Villiers, commissaire de l’artillerie, il braqua si à propos une couleuvrine, que, sans ce que ledit marquis, voyant mettre le feu, se lança à quartier, il fut tenu qu’il en avait dans le corps. Et de même quelques années auparavant, Laurent de Médicis, duc d’Urbin, père de la reine mère du roi[1], assiégeant Mondolfc, place d’Italie, aux terres qu’on nomme du Vicariat, voyant mettre le feu à une pièce qui le regardait, bien lui servit de faire la cane ; car autrement le coup, qui ne lui rasa que le dessus de la tête, lui donnait sans doute dans l’estomac. Pour en dire le vrai, je ne crois pas que ces mouvements se lissent avec discours ; car quel jugement pouvez-vous faire de la mire haute ou basse en chose si soudaine ? et est bien plus aisé à croire que la fortune favorisa leur frayeur, et que ce serait moyen une autre fois aussi bien pour se jeter dans le coup, que pour l’éviter. Je ne me puis défendre, si le bruit éclatant d’une arquebusade vient à me frapper les oreilles à l’imprévu, en lieu où je ne dusse pas attendre, que je n’en tressaille ; ce que j’ai vu advenir à d’autres qui valent mieux que moi.

  1. Catherine de Médicis, mère de François II, de Charles IX et de Henri III, alors régnant.