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CHAPITRE XIII.

mence. Cinna est convaincu ; pardonne-lui ; de te nuire désormais il ne pourra, et profitera à ta gloire.

Auguste fut bien aise d’avoir trouvé un avocat de son humeur ; et ayant remercié sa femme et contremandé ses amis qu’il avait assignés au conseil, commanda qu’on fît venir à lui Cinna tout seul ; et ayant fait sortir tout le monde de sa chambre et fait donner un siége à Cinna, il lui parla en ces termes :

— En premier lieu, je te demande, Cinna, paisible audience ; n’interromps pas mon parler ; je te donnerai temps et loisir d’y répondre. Tu sais, Cinna, que t’ayant pris au camp de mes ennemis, non seulement t’étant fait mon ennemi, mais étant né tel, je te sauvai, je te mis entre mains tous tes biens, et t’ai enfin rendu si accommodé et si aisé, que les victorieux sont envieux de la condition du vaincu : l’office du sacerdoce que tu me demandas, je te l’octroyai, l’ayant refusé à d’autres, desquels les pères avaient toujours combattu avec moi. T’ayant si fort obligé, tu as entrepris de me tuer.

À quoi Cinna s’étant écrié qu’il était bien éloigné d’une si méchante pensée : — Tu ne me tiens pas, Cinna, ce que tu m’avais promis, suivit Auguste ; tu m’avais assuré que je ne serais pas interrompu. Oui, tu as entrepris de me tuer en tel lieu, tel jour, en telle compagnie et de telle façon.

Et le voyant transi de ces nouvelles, et en silence, non plus pour tenir le marché de se taire, mais de la presse de sa conscience. — Pourquoi, ajouta-t-il, le fais-tu ? Est-ce pour être empereur ? Vraiment, il va bien mal à la chose publique, s’il n’y a que moi qui t’empêche d’arriver à l’empire. Tu ne peux pas seulement défendre