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CHAPITRE XIV.

d’une aile si liante qu’il paraissait bien leur cœur et leur âme s’être merveilleusement grossie et enrichie par l’intelligence des choses. Mais aucuns, voyant la place du gouvernement politique saisie par des hommes incapables, s’en sont reculés ; et celui qui demanda à Cratès jusques à quand il faudrait philosopher, en reçut cette réponse : « Jusques à tant que ce ne soient plus des âniers qui conduisent nos armées. » Héraclitus résigna la royauté à son frère ; et aux Éphésiens, qui lui reprochaient à quoi il passait son temps à jouer avec les enfants devant le temple ; « Vaut-il pas mieux faire ceci que gouverner les affaires en votre compagnie ? » D’autres, ayant leur imagination logée au-dessus de la fortune et du monde, trouvèrent les sièges de la justice et les trônes mêmes des rois, bas et vils, et refusa Empédocles la royauté que les Agrigentins lui offrirent. Thalès, accusant quelquefois le soin du ménage et de s’enrichir, on lui reprocha que c’était à la mode du renard, pour n’y pouvoir advenir ; il lui prit envie, par passe-temps, d’en montrer l’expérience ; et, ayant pour ce coup ravalé son savoir au service du profit et du gain, dressa un trafic qui, dans un an, rapporta telles richesses, qu’à peine en toute leur vie les plus expérimentés de ce métier-là en pouvaient faire de pareilles.

Ce qu’Aristote récite d’aucuns, qui appelaient, et celui-là, et Anaxagoras, et leurs semblables, sages et non-prudents, pour n’avoir assez de soin des choses plus utiles, outre ce que je ne digère pas bien cette différence de mots, cela ne sert point d’excuse à mes gens ; et à voir la basse et nécessiteuse fortune de quoi ils se paient, nous aurions plutôt occasion de prononcer