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Page:Montaigne - Essais, Musart, 1847.djvu/93

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CHAPITRE XIV.

porter l’âme pleine, il ne l’en rapporte que bouffie, et l’a seulement enflée au lieu de la grossir.

Ces maîtres-ci, comme Platon dit des sophistes leurs germains, sont, de tous les hommes, ceux qui promettent d’être les plus utiles aux hommes ; et seuls, entre tous les hommes, qui, non-seulement n’amendent point ce qu’on leur commet, comme fait un charpentier et un maçon, mais l’empirent, et se font payer de l’avoir empiré. Si la loi que Protagoras proposait à ses disciples était suivie, « ou qu’ils le payassent selon son mot, ou qu’ils jurassent au temple combien ils estimaient le profit qu’ils avaient reçu de sa discipline, et, selon icelui, satisfissent sa peine ; » mes pédagogues se trouveraient choués[1], s’étant remis au serment de mon expérience. Mon vulgaire périgourdin appelle fort plaisamment Lettre-ferus ces savanteaux, comme, si vous disiez Lettre-ferus, auxquels les lettres ont donné un coup de marteau, comme on dit. De vrai, le plus souvent ils semblent être ravalés, même du sens commun : car le paysan et le cordonnier, vous leur voyez aller simplement et naïvement leur train, parlant de ce qu’ils savent ; ceux-ci, pour se vouloir élever et gendarmer de ce savoir, qui nage en la superficie de leur cervelle, vont s’embarrassant et empêtrant sans cesse. Il leur échappe de belles paroles ; mais qu’un autre les accommode : ils connaissent bien Galien, mais nullement le malade ; ils vous ont déjà rempli la tête de lois, et si n’ont encore conçu le nœud de la cause ; ils savent la théorie de toutes choses ; cherchez qui la mette en pratique.

  1. Frustrés, déchus de leur espoir.