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CHAPITRE XIV.

Il y a aucun de nos parlements, quand ils ont à recevoir des officiers, qui les examinent seulement sur la science ; les autres y ajoutent eucore l’essai du sens, en leur présentant le jugement de quelque cause. Ceux-ci me semblent avoir un beaucoup meilleur style ; et encore que ces deux pièces soient nécessaires et qu’il l’aille qu’elles s’y trouvent toutes deux, si est-ce qu’à la vérité celle du savoir est moins prisable que celle du jugement ; celle-ci se peut passer de l’autre, et non l’autre de celle-ci. Car, comme dit un vers grec : « À quoi faire la science, si l’entendement n’y est ? » Plût à Dieu que, pour le bien de notre justice, ces compagnies-là se trouvassent aussi bien fournies d’entendement et de conscience comme elles sont encore de science ! Or, il ne faut pas attacher le savoir à l’âme, il l’y faut incorporer ; il ne l’en faut pas arroser, il l’en faut teindre ; et, s’il ne la change et méliore son état imparfait, certainement il vaut beaucoup mieux le laisser là : c’est un dangereux glaive, et qui empêche et offense son maître, s’il est en main faible et qui n’en sache l’usage.

À l’aventure est-ce la cause que et nous et la théologie ne requérons pas beaucoup de science aux femmes, et que François, duc de Bretagne, fils de Jean V, comme on lui parla de son mariage avec Isabeau, fille d’Écosse, et qu’on lui ajouta qu’elle avait été nourrie simplement et sans aucune instruction de lettres, répondit : « qu’il l’en aimait mieux, et qu’une femme était assez savante, quand elle savait mettre différence entre la chemise et le pourpoint de son mari. »

Aussi ce n’est pas si grande merveille, comme on crie, que nos ancêtres, n’aient pas fait grand état des lettres,