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ESSAIS DE MONTAIGNE

et qu’encore aujourd’hui elles ne se trouvent que par rencontre aux principaux conseils de nos rois ; et si cette fin de s’en enrichir, qui seule nous est aujourd’hui proposée, par le moyen de la jurisprudence, de la médecine, du pédantisme, et de la théologie encore, ne les tenait en crédit, vous les verriez sans doute aussi marmiteuses qu’elles furent oncques. Quel dommage, si elles ne nous apprennent ni à bien penser ni à bien faire ? Toute autre science est dommageable à celui qui n’a la science de la bonté.

Mais la raison que je cherchais tantôt serait-elle pas aussi de là, que notre étude en France n’ayant quasi autre but que le profit, moins de ceux que nature a fait naître à plus généreux offices que lucratifs, s’adonnant aux lettres, aussi courtement (retirés, avant que d’en avoir pris le goût, à une profession qui n’a rien de commun avec les livres), il ne reste plus ordinairement, pour s’engager tout-à-fait à l’étude, que les gens de basse fortune qui y quêtent des moyens à vivre. Et de ces gens-là les âmes étant, et par nature, et par institution domestique et exemple, du plus bas aloi, rapportent faussement le fruit de la science ; car elle n’est pas pour donner jour à l’âme qui n’en a point, ni pour faire voir un aveugle ; son métier est, non de lui fournir de vue, mais de la lui dresser, de lui régler ses allures, pourvu qu’elle ait de soi les pieds et les jambes droites et capables. C’est une bonne drogue que la science ; mais nulle drogue n’est assez forte pour se préserver sans altération et corruption, selon le vice du vase qui l’étuie[1]. Tel a la vue claire, qui

  1. Qui lui sert d’étui.